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La publication de ce monument littéraire de près de 1000 pages qu'est le Livre noir de Matatias Carp (1904-1952) constitue un événement éditorial à plus d'un titre. D'abord parce qu'il s'agit de la principale source d'information sur l'extermination sauvage, par l'armée et la gendarmerie roumaines, de près de 400 000 Juifs roumains et ukrainiens, un chapitre encore largement méconnu de la Shoah à l'est de l'Europe. Comme l'écrit pourtant Raul Hilberg, «aucun pays, Allemagne exceptée, ne participa aussi massivement au massacre des Juifs».
Cette extraordinaire chronique de la tragédie des Juifs de Roumanie fut en outre élaborée à chaud, au coeur même du Génocide. Elle occupe en cela une place de choix dans ce qu'on a appelé «la bibliothèque de la Catastrophe». Initialement publié à Bucarest entre 1946 et 1948, en trois volumes, ce livre «de sang et de larmes», pour reprendre l'expression de son auteur, fait enfi n partie des rares documents de premier plan sur la Shoah à avoir été publié dès l'immédiat après-guerre. Rapidement mis à l'index par le régime communiste, il tombera ensuite dans l'oubli. Soixante ans après sa parution, ce volume, accompagné d'un très substantiel appareil critique et iconographique, constitue donc la toute première traduction intégrale du Livre noir de Matatias Carp, enfi n accessible au public occidental. D'un intérêt historique comparable à l'autre Livre noir, Le Livre noir sur l'extermination des Juifs en URSS et en Pologne (1941-1945) de Vassili Grossman et Ilya Ehrenbourg, qui fut un best-seller en France en 1995, celui de Matatias Carp se distingue également par les conditions extrêmement périlleuses dans lesquelles il a été écrit. Son auteur, un jeune avocat juif de Bucarest doublé d'un pianiste virtuose, prend en effet la mesure, dès la fi n 1940, de la menace de destruction qui pèse sur le judaïsme européen. Cet homme d'une rare lucidité se lance alors, au péril de sa vie et avec sa femme pour unique collaboratrice, dans une folle entreprise : enquêter et collecter en temps réel et dans le plus strict secret, témoignages, ordonnances, rapports offi ciels, lettres, photographies. Un vaste ensemble documentaire qu'il destine explicitement, dès 1946, «à ceux qui oublient trop vite, à ceux qui ne savent pas ou qui ne veulent pas savoir ce qui s'est passé».
Au fil du récit, le lecteur découvrira un véritable enfer, marqué par la diversité insoupçonnée des méthodes de tuerie : pogroms sanglants, fusillades massives en bordure des villages, Juifs brûlés vifs dans d'immenses étables à cochons, enfants jetés vivants dans des puits, marches de la mort dantesques, abattage et vente des déportés aux paysans les plus offrants, etc.
Après Les Bienveillantes de Jonathan Littell et Les Disparus de Daniel Mendelsohn, en passant par les recher- ches du père Patrick Desbois sur «la Shoah par balles» en Ukraine, ce Livre noir devrait à son tour attirer l'attention du grand public sur une page longtemps occultée de la destruction des Juifs d'Europe.La publication de ce monument littéraire de près de 1 000 pages qu'est le Livre noir de Matatias Carp (1904- 1952) constitue un événement éditorial à plus d'un titre. D'abord parce qu'il s'agit de la principale source d'information sur l'extermination sauvage, par l'armée et la gendarmerie roumaines, de près de 400 000 Juifs roumains et ukrainiens, un chapitre encore largement méconnu de la Shoah à l'est de l'Europe. Comme l'écrit pourtant Raul Hilberg, «aucun pays, Allemagne exceptée, ne participa aussi massivement au massacre des Juifs».
Cette extraordinaire chronique de la tragédie des Juifs de Roumanie fut en outre élaborée à chaud, au coeur même du Génocide. Elle occupe en cela une place de choix dans ce qu'on a appelé «la bibliothèque de la Catastrophe». Initialement publié à Bucarest entre 1946 et 1948, en trois volumes, ce livre «de sang et de larmes», pour reprendre l'expression de son auteur, fait enfi n partie des rares documents de premier plan sur la Shoah à avoir été publié dès l'immédiat après-guerre. Rapidement mis à l'index par le régime communiste, il tombera ensuite dans l'oubli. Soixante ans après sa parution, ce volume, accompagné d'un très substantiel appareil critique et iconographique, constitue donc la toute première traduction intégrale du Livre noir de Matatias Carp, enfi n accessible au public occidental. D'un intérêt historique comparable à l'autre Livre noir, Le Livre noir sur l'extermination des Juifs en URSS et en Pologne (1941-1945) de Vassili Grossman et Ilya Ehrenbourg, qui fut un best-seller en France en 1995, celui de Matatias Carp se distingue également par les conditions extrêmement périlleuses dans lesquelles il a été écrit. Son auteur, un jeune avocat juif de Bucarest doublé d'un pianiste virtuose, prend en effet la mesure, dès la fi n 1940, de la menace de destruction qui pèse sur le judaïsme européen. Cet homme d'une rare lucidité se lance alors, au péril de sa vie et avec sa femme pour unique collaboratrice, dans une folle entreprise : enquêter et collecter en temps réel et dans le plus strict secret, témoignages, ordonnances, rapports offi ciels, lettres, photographies. Un vaste ensemble documentaire qu'il destine explicitement, dès 1946, «à ceux qui oublient trop vite, à ceux qui ne savent pas ou qui ne veulent pas savoir ce qui s'est passé».
Au fil du récit, le lecteur découvrira un véritable enfer, marqué par la diversité insoupçonnée des méthodes de tuerie : pogroms sanglants, fusillades massives en bordure des villages, Juifs brûlés vifs dans d'immenses étables à cochons, enfants jetés vivants dans des puits, marches de la mort dantesques, abattage et vente des déportés aux paysans les plus offrants, etc.
Matatias Carp : Né à Bucarest dans une famille de la bourgeoisie juive assimilée, Matatias Carp (1904-1953) était avocat et pianiste. Cet homme hors du commun se fit, entre 1940 et 1944, l'historien, le chroniqueur et l'archiviste des persécutions subies par les Juifs de Roumanie, lesquels formaient, avant-guerre, la troisième communauté juive d'Europe. Il était le fils d'Horia Carp, l'une des grandes figures de la vie intellectuelle roumaine de l'entre-deux-guerres.
A. Laignel-Lavastine : Philosophe et historienne, Alexandra Laignel-Lavastine est spécialiste de l'histoire contemporaine de l'Europe de l'Est. Elle est notamment l'auteur de Cioran, Eliade, Ionesco : L'Oubli du fascisme (PU F, 2002). Elle est chercheur associé à l'Institut des sciences sociales du politique (ISP-CNRS) et au Centre d'histoire de l'Europe centrale (Paris IV-Sorbonne).